24 oct. 2012

L'île des fous

L'aventure était bien belle. Celle de coureurs, de femmes et d'hommes qui vont au bout d'eux-mêmes, et celle d'un défi professionnel : monter de A à Z une chaîne télé à l'autre bout du monde et la faire vivre pendant quatre jours. Le tout dans un décor pas exactement hostile mais... difficile !
Voilà, c'était le Grand Raid 2012, et c'est ma pépite de l'année, l'une des raisons pour lesquelles je chéris mon statut de pigiste et toute la liberté de projets qu'il m'offre.


Allez, je vous explique. Depuis quatre ans maintenant, je m'envole au mois d'octobre pour le soleil de l'Île de la Réunion, pour couvrir le Grand Raid, une course de dingues joliment surnommée La Diagonale des fous. Parce que c'est sans doute la plus difficile du monde, la plus incroyable. Un trail de 170 km, plus de 10 000 mètres de dénivelé positif, une traversée de l'île, ses milieux, ses sentiers boueux, ses cirques sublimes, ses villages retranchés, ses montagnes hautes, dans la chaleur étouffante du bord de mer, dans le froid glacial d'une nuit au Volcan du Piton de la Fournaise. Le tout en un peu plus de 24h pour les plus barjos, presque trois jours de souffrances pour les plus jusqu'au-boutistes.
Pour l'occasion, Canal + dédie une chaîne à l'événement, et c'est une boîte bordelaise qui en assure la production. The pourquoi.

(antenne satellite pour les directs)

Nous voilà donc partis dimanche 14 octobre, chargés comme des mules à l'aéroport de Bordeaux, matériel télé, crèmes solaires et manteaux chauds pour affronter les éléments. Il y a surtout tout pour créer une antenne de toutes pièces, et ça, je peux vous dire que ça fait quelques bagages.
Tournage et montage de portraits, enregistrement d'émissions, d'interviews, installations d'antennes paraboliques dans la montagne pour suivre en direct la course. Nous voilà presque prêts...
Jeudi 22h, le départ de la course est donné, 2800 affamés se lancent à l'assaut du volcan, de nuit. Ils sont fous, je vous dis. Tous mes collègues journalistes sont placés sur le parcours, ils vont faire nuit blanche et attendre les coureurs qui ne vont pas dormir non plus ! De mon côté, je suis "roue de secours". Chaque édition, des problèmes techniques nous empêchent de retransmettre le départ en direct. Cette année encore, et si l'antenne lâchait ? Il faut s'imaginer que ce n'est pas le tour de France, hein... C'est une île, avec ses reliefs incroyables, ses capacités techniques limitées, son instabilité météorologique incroyable. Alors il faut composer. Et je prends l'antenne, si besoin. Stress que tout casse, que je doive être en direct, assurer, meubler. Tout se passera bien ce soir, les téléspectateurs ont bien eu droit à leur départ en direct.
Le lendemain, me voilà, chanceuse, partie pour le Piton Maïdo, l'un des nombreux sommets de cette course (2200 mètres), une étape décisive, nouvelle, après 120 km de course, et avant les 50 derniers. Avec vue sur le cirque de Mafate, grandiose, majestueux. Au lever du jour, c'est l'endroit au monde où j'ai le plus matérialisé le concept de rayons du soleil. Des rayons presque physiques, qui inondent et transpercent le jour. Beau à en pleurer. Là nous avons passé deux jours, avec les trois techniciens/collègues, les bénévoles (qui campent ici pendant trois jours pour ravitailler les coureurs), à guetter les meneurs, les belles histoires et moments émouvants. Quel soleil, quelle aventure ! J'ai couru après tous ces fous, filmé, fait des directs, craché mes poumons un peu moi aussi...

(vue depuis le Maïdo)

Je pourrais vous parler de Kilian Jornet, le vainqueur qui dans sa course contre la montre incroyable, a pris 20 minutes pour s'assoir au milieu de ses fans qui avaient marché une heure pour le voir passer, récupérer quelques forces, signer des autographes d'une main tremblante et vidée. De sa gentillesse et sa patience pour répondre à nos questions, avec déjà 120 km dans les pattes, juste trois marathons... De sa gueule d'enfant, et de sa bouche entourée de chocolat, ingurgité à la va-vite, un peu de sucre pour ne pas tomber.

Ou de Iker Carrera, Joe Grant, Michel Lanne, les autres favoris, qui ont vomi, souffert, lutté, violenté leur corps, grimpé, pleuré, puis finalement abandonné.

(au milieu Iker Carrea, un des favoris, à droite, Eric Lacroix, magic consultant pour Canal +, à gauche, je ne sais pas.)

Vous parler d'Emilie Lecomte, première féminine, qui termine dixième de la course (face aux hommes, un exploit jamais réalisé !), et qui me répond en souriant, en plaisantant, qui me donne rendez-vous à l'arrivée en riant. Qui est fraîche et belle comme le jour alors qu'elle s'enfonce seule dans la nuit.

Vous parler aussi de Sébastien Buffard, qui lorsqu'il arrive au poste où nous nous trouvons, est 5e (un exploit !) mais complètement épuisé. Sa femme l'attend, le raisonne, l'encourage. Il pleure dans ses bras. "Je ne pensais qu'à une chose, te retrouver", lui glisse-t-il. Pendant 20 longues minutes, ils discutent. Tout le monde pense, est persuadé qu'il va repartir. Puis il se lève doucement et annonce son abandon. Les bénévoles crient, l'encouragent, l'engueulent presque. Mais le Grand Raid est trop difficile, vraiment trop difficile cette année.

Du froid, de l'humidité, de la brume, qui vous envahissent sitôt le jour tombé. Mais vu le coucher de soleil auquel vous venez d'avoir droit, vous excusez la polaire et le bonnet. Et puis un peu de frais fait du bien, sur les coups de soleil.

De ces gars, les pieds en sang, le regard hagard, le corps tremblant, avec 45 minutes de sommeil en deux jours dans les pattes, qui décident de repartir.

Vous parler de ce coureur décédé cette année d'une chute de 30 mètres dans un ravin. Quand je vous dis que cette "course" est folle. Il était en course depuis 25 heures et avait fait la moitié du chemin. Et cet autre coureur qui pleure en racontant qu'il a appelé les secours.

Des galères de tournage et de matériel, caméra sans son (et l'on s'en rend compte quand on a fini de tourner le sujet bien sûr), logiciel de montage qui ne marche pas, chutes en filmant les coureurs (qui laissent des traces). A 2200 mètres d'altitude et une heure de la première route, tout devient plus compliqué.

Vous raconter cette nuit passée à attendre les coureurs (pas toute la nuit, hein !). De ces musiciens qui pour donner du courage aux raideurs s'installent face au grand vide noir de la montagne, au bord du ravin et qui jouent. "Ils nous entendent à des kilomètres, pendant qu'ils grimpent, et ça les motive". Et ces gens qui inlassablement, toute la journée, encouragent chaque coureur qui repart.

Ou alors de Gilsey Félicité, coureur rencontré pour un portrait avant le départ. Il le sait bien, qu'il n'est pas tout à fait au niveau des fusées, des favoris, mais il rêve secrètement de gagner ce Grand Raid. Parce que c'est l'édition des 20 ans. Parce que lui est Réunionnais, et un gars d'ici qui gagne, ce serait toute une île qui exulte.

Et puis il y a eu Jean-Pierre Charron. Il était le doyen cette année. 71 ans, vous le croyez ça ? Et en plus, c'est lui qui a créé le Grand Raid il y a 20 ans. Pour son ravitaillement, il s'était préparé des sandwichs banane-nutella. Miam, ça m'a presque donné envie de me lancer tout ça ! "Le mental est là, c'est sûr, j'ai peur que mes jambes ne suivent pas", me confiait-il la veille du départ, ému aux larmes. Il a abandonné avant le premier poste de ravitaillement. Mais il sera là l'année prochaine, il l'a promis !

Vous parler de cette île, de la gentillesse incroyable de ses habitants, de leur joie communicative. Vous dire que désormais chaque année, elle me manque.

Et vous raconter aussi les femmes et hommes qui passent la ligne d'arrivée en pleurant. Sitôt franchie, les jambes sont coupées, le mal est partout. Il leur faudra des semaines, des mois pour s'en remettre, mais ils s'en foutent, ils ont réussi, eux (près de 50% des 2800 partants ont abandonné cette année). Ils sont des survivants, comme on dit ici.

Voilà, je ne suis pas une fanatique du sport, une admiratrice de la performance physique. Mais le Grand Raid, c'est un peu plus que du sport. Professionnellement, c'est une aventure incroyable, un défi. Sur le papier, tout semble impossible. Mais on l'a fait. Et on fera encore mieux l'année prochaine, j'espère ! Humainement......... j'en suis encore toute retournée.

Allez, si tout ça vous a donné envie d'en voir, d'en savoir plus, voici le lien de l'antenne (où le live est fini, mais il reste quelques reportages des éditions précédentes):
http://www.canalplus.fr/c-sport/c-autres-sports/pid3644-c-grand-raid-videos.html

et de la course :
http://www.grandraid-reunion.com

Je vais dormir quelques heures et je reviens !

(pause sandwich entre deux tournages. Hé oui, aussi...)

Pau.

12 oct. 2012

I have a dream...


Ben oui, le prix Nobel de la paix version 2012 m'agace... Non mais l'Union européenne. Franchement.
Déjà, je dois avouer qu'en 2009, le choix de Barack Obama était resté pour moi une énigme. En même temps, me direz-vous, personne à Oslo ne me demande mon avis.

Mais s'il y a bien une décision, un barnum mondial, une institution qui doit nous mettre des étoiles dans les yeux, c'est le Nobel, non ?

Il est vrai qu'en ces temps de crise économique, l'Union européenne est un élément de stabilité, de confiance, d'espoir. Elle unit les pays dans un même élan de solidarité et d'action. Elle apaise les peuples. Y'a qu'à voir les Grecs, heureux lors de la visite de Merkel. Justement ! me direz-vous ! Il faut faire un geste dans le sens de la réunification, réaffirmer cette institution qui a fait beaucoup pour la paix (bon, à partir de 1957 surtout) et qui, à l'heure où elle n'a jamais été si remise en question dans son histoire, a besoin  d'un geste fort et symbolique pour rappeler ses principes fondateurs. Pour re-dire à tous ses citoyens qu'ils font partie de cette grande aventure de pacification, et qu'ils en portent la responsabilité aussi. Mouais ouais. Ils sont contents, hein, les citoyens européens. Hein que vous êtes contents ?! Bon, vous ne verrez pas un bout de couleur des 930 000 euros de récompense, mais quand même, ça claque d'avoir le Nobel de la paix ! Ah mais non, ça n'a rien à voir avec nous en fait. Alors ça doit être un truc de bureaucrates, commissaires, députés assidus au Parlement et tout ça... Oui, c'est plutôt pour eux.
Et pourtant, croyez-moi, je suis une pro-européenne tendance idéaliste, néo-désillusionniste.

Je sais pas, moi, j'avais juste envie de rêver. De découvrir des personnages, des vrais, sans attaché-case ni i-pad, qui oeuvrent au quotidien, réellement, pour la paix. Qui se lèvent le matin avec cette urgence au coeur et aux tripes. Qui risquent leur vie pour un infime message, si peu entendu. Qui révèlent au monde des combats méconnus mais indispensables. Je ne sais pas, Malala Yousufzai, par exemple, cette jeune Pakistanaise de 14 ans qui dénonce les violences commises par les talibans, attaquée par eux mardi dernier. (http://www.liberation.fr/monde/2012/10/11/pakistan-malala-yousufzai-transferee-a-rawalpindi_852477). 14 ans, franchement !  Elle n'a pas autre chose à nous apprendre sur la paix que l'Union européenne ? Peut-être même que ça l'aiderait à se remettre sur pied.
Bref, du concret, du vrai, de l'humain. Un choix qui sensibilise, un choix qui secoue.



Tant pis, on rêvera l'année prochaine. Pourtant, on en avait bien besoin, non ?

Et dire qu'ils sont déjà en train de s'écharper, là-haut, pour savoir qui va aller chercher le prix en décembre à Oslo...

Pau.

Et pour continuer le débat, article intéressant, malgré la conclusion étrange :
http://www.lemonde.fr/international/article/2012/10/12/dans-les-coulisses-du-prix-nobel-de-la-paix_1774337_3210.html

et puis...
http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/10/12/mais-qui-ira-a-oslo-recevoir-le-prix-nobel_1774601_3214.html