5 avr. 2012

Chronique d'en-bas #1 Police



Il y a quelques jours, je suis allée au commissariat central de Bordeaux. Youhou ! Je vous avoue que je n'y vais pas très souvent, hein, je ne fais partie des habitués. Là, passage obligé pour aller faire faire une procuration de vote. Vous voyez comme je suis citoyenne...

Et bonne nouvelle, je ne suis pas la seule. Pour ceux qui auraient en ce moment des angoisses de taux d'abstention record, des cauchemars de bureaux de vote vides, des sueurs froides de bulletins esseulés dans des salles des fêtes désertées, rassurez-vous ! Si l'on en croit la file de personnes venues comme moi remplir le joli formulaire saumon, les électeurs devraient être au rendez-vous.
Sinon, il y avait aussi un monsieur complètement paumé, qui tentait de communiquer avec un (jeune) fonctionnaire de police à l'accueil (déjà) blasé. Il agite une feuille gentiment, et parle une langue inconnue. Le policier ne veut rien entendre "je ne vous comprends pas Monsieur, il faut parler français" ; en face : "Comprends pas" ; "je comprends pas"... Et ainsi de suite, personne ne comprend personne. Tout le monde se regarde en chien de faïence, sans proposer un coup de main. Le sketch aurait pu durer longtemps, mais il en fallait bien un moins buté que l'autre. Le monsieur s'est débrouillé, et il a trouvé un traducteur bienveillant qui a fait le lien... en anglais. Comme quoi, ça ne tient pas à grand chose, parfois, la communication...
Je parviens au guichet d'accueil, on me donne le formulaire à remplir "vous ne faites pas de ratures, hein, sinon, il faut recommencer". Arrive à côté de moi un vieil homme, qui n'a plus que deux dents, bien au fond, sur les côtés. Mais il les affiche quand même, tout sourire. Content d'être là. Il cherche à trouver un bureau d'anciens combattants à Bordeaux, il sort un courrier, "parce que je suis ancien combattant, moi, vous voyez". Heureux, fier. La jeune policière en face de lui est larguée. "Je ne peux pas vous renseigner monsieur, désolée, allez demander à la mairie". "Vous ne pouvez pas regarder sur vos ordinateurs ? Je n'ai pas d'ordinateur, moi..." Elle regarde sa collègue à l'autre bout du grand comptoir (avec "help" dans les yeux), la collègue tourne l'ordinateur vers le vieil homme qui découvre l'affiche "en panne", collée sur l'écran. Il s'excuse, et s'en va en souriant.
Un policier arrive de l'extérieur. Fatigué. Nonchalamment, il fait la bise à tous ses collègues de l'accueil. Sans un mot. Il dépose une pile de feuilles et s'en va. Sa collègue prend la pile et la range dans un énorme registre, prêt à craquer d'autres feuilles. Il y a du monde qui attend, un peu. Des gens installés dans l'espace attente baigné de lumière. Pour quoi ?
Le jeune policier fait des va-et-vient avec ses formulaires de procuration. Vient demander des précisions, repart, tamponne, glisse tout au long du bureau sur sa chaise à roulettes, classe ses formulaires, remercie et dit au-revoir sans lever les yeux. Il a une alliance. Marié si jeune ? Plusieurs policiers en civil attendent l'ascenseur, s'interpellent, se saluent, partent dans un éclat de rires. Les gens les regardent sans ciller.
"Suivant !" Jeune, homme, blouson en cuir, baskets. Egaré, flippé. Il montre une feuille un peu froissée à la policière.
Lui. "Je viens parce que j'ai reçu ça, et je voulais savoir ce que ça voulait dire"
Elle. "Ben ça veut dire que vous êtes convoqué par ce policier, que vous devez prendre contact avec lui"
Lui. "Je suis là, je peux le voir ?"
Elle. "Non, là il est occupé"
Lui. "Je peux attendre ?"
Elle. "Non, parce que dans dix minutes, il va partir en pause déjeuner" (je regarde ma montre, il est 11h43)
Lui. "Je peux revenir cet après-midi ?"
Elle. "Non, vous le rappelez et vous prenez rendez-vous pour dans la semaine"
Lui. "Mais je ne comprends pas, qu'est ce que ça veut dire, ce papier ?"
Elle. "Ca signifie infractions "mineures""
Lui. " ??"
Elle. "Agressions, vols..."
Lui. "Je comprends pas"
Elle. "Vous avez quelque chose à vous reprocher ?"
Lui. "Non"
Elle. "Eh ben alors ça ira".

Je suis restée scotchée à toutes ces petites scènes effrayantes d'humanité. J'ai mis 15 minutes à remplir mon formulaire. Chroniques d'un ras-le-bol ordinaire ? Ras-le-bol de la police, contrainte toute la journée de remplir les rôles de bureau d'information, centre social, défouloir... Ras-le-bol aussi des citoyens, lassés d'être accueillis par des visages fermés, des termes savants, des regards méfiants. Et ça ne se passe "qu'à" Bordeaux, "que" un lundi matin. Pas de jugement, pas de généralités non plus. Banale tristesse.

Pau.

1 commentaire:

  1. Merci pour ce billet jolie Pauline. Il est simplement... parfait ! Drôle et cynique, effrayant et léger, un joli mélange pour une lecture bien sympathique.

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