24 avr. 2012

Tulle, 22 avril


Samedi 21 avril, 18h30 : Nous arrivons à Tulle. Une fois de plus cette année. Sur le parking du Centre culturel et sportif d'où François Hollande fera sa déclaration demain soir, des dizaines de camions-satellites se pressent. Des techniciens sortent de partout, les câbles jonchent le sol. Dans la salle, on découvre les longues tables vides, qui attendent ordinateurs et journalistes. Les scènes "praticables" pour les caméras sont trop peu nombreuses, comme d'habitude. Il faut se faire une place, la meilleure, la moins excentrée possible. A notre tour, nous mettons en place nos plateaux, pieds de caméras. Les traits sont déjà tirés.

21h : Toute notre équipe se retrouve au restaurant. Bondé. De journalistes, techniciens, équipes de campagne et de com. La soirée de demain est dans toutes les têtes, sur toutes les lèvres. A notre table, un technicien, un journaliste pour les plateaux, un autre pour les directs d'ambiance, trois cameramen (dont deux women), une ex-stagiaire originaire de Tulle qui prodiguera petits conseils sur la ville tout au long du weekend. On trinque au 22 avril. On est heureux d'être là. D'être enfin là, après de longs mois de campagne, que nous avons tous suivie, de près ou de loin. Pour ma part, j'étais déjà là il y a plusieurs mois, lors de l'élection de FH à la tête du Conseil général, lors de sa déclaration de candidature à la primaire socialiste... Quelle longue campagne.

22h30 : Nous regagnons l'hôtel. Il faut être raisonnables, la journée de demain va être longue. Pourtant, l'atmosphère est électrique, on boirait bien un verre... Toute la soirée, nous avons parlé de notre dispositif, pour être au plus près de FH, et le maximum présents à l'antenne. Ca va secouer. Bizarrement, je n'ai pas de mal à m'endormir. Si fatiguée... Je rêve que je filme Nicolas Dupont-Aignan lors d'un reportage. Surmenage ?

Dimanche, 8h15 : C'est parti. Une partie de l'équipe est déjà au Centre culturel, pour s'assurer que notre pied de caméra n'a pas été bougé pendant la soirée ou au petit matin, par une équipe jalouse de notre emplacement, peu soucieuse des règles d'entente cordiale entre journalistes (non, je déconne, y'a pas de règle). Ouf, rien n'a bougé. J'embarque une caméra et file du côté de la permanence de François Hollande, d'où il doit partir prendre un café avant d'aller voter. Son petit rituel, paraît-il. Sauf que son café habituel est fermé. Mauvais présage ? Il s'enfermera jusqu'à presque 10h. Quatre caméras, 6 photographes sont là. C'est peu, les autres, la cohue, l'attendent à son bureau de vote. Il pleut, il faut mettre les caméras à l'abri. Il fait très froid, aussi. A chaque arrivée de conseiller, ou lorsque la porte au loin s'ouvre, je jette ma caméra sur l'épaule, avant de me raviser sous son poids, quelques minutes plus tard. Je suis obligée de partir avant qu'il ne sorte. C'est moi qui dois tourner le vote de Bernadette Chirac à Sarran, prévu pour 11h30. Je ne peux pas prendre le risque de la louper. La dame se réserve le droit de planter les journalistes, paraît-il.

10h30 : J'arrive à Sarran. Ici, toutes les affiches électorales ont été arrachées, sauf celle de FH. Corrèze forever. A la place, il y a Jacques Chirac, tout fringant de 1981. Le message est clair.

11h45 : Nous attendons sous la pluie depuis plus d'une heure. Je suis congelée, je ne sens plus mes pieds. Il fait 5 degrés dans ce coin montagneux... Europe 1, RTL, Radio France, l'AfP, France 2, M6, la Montagne... Bernadette attire toujours les foules. Ses fans et amis de longue date l'attendent aussi. Elle arrive, file dans le bureau de vote. A l'intérieur, il doit faire 25 degrés. Humidité, chaud-froid, ma caméra est pleine de buée, l'enfer. Elle prend soigneusement plusieurs bulletins, en deux exemplaires. Elle n'a pas sa carte d'électeur mais montre son passeport. Le responsable du bureau de vote rigole. Elle reste longuement dans l'isoloir, les caméras tournent et les flashs sont prêts à crépiter. Elle vote, deux fois. Puis s'arrête pour répondre à nos questions. Jacques était trop fatigué pour faire le trajet depuis Paris, nous explique-t-elle. Pour qui a-t-elle vote ? Le vote est secret, nous répond-t-elle. Elle dit qu'elle garde des souvenirs émus, forts, de ces journées de vote, en tant que femme de candidat, que la présidentielle est l'élection majeure, qu'elle n'a suivi que la campagne de Nicolas Sarkozy. Que Jacques Chirac ne commente plus la politique actuelle, depuis la fin de son mandat. Elle confie même qu'il a regretté son fameux "trait d'humour corrézien" lorsqu'il avait dit qu'il voterait Hollande, il y a quelques mois.

12h20 : je quitte Sarran. Pas contente de moi et de mes images. Comme d'hab.

13h : A Tulle, j'envoie mes images. Je retrouve le reste de l'équipe pour manger vite fait une paella prévue par le PS pour les journalistes. Il paraît que la cohue a été terrible, ce matin, à l'arrivée de FH à son bureau de vote. Une vraie bataille, tout sauf rangée. Il a fallu jouer des épaules pour obtenir une image.

14h : tout est en place, y'a plus qu'à attendre. Je repasse par l'hôtel, chercher un autre pull. Sinon, je pense que je vais mourir de froid, ou d'une pneumonie avant ce soir.

15h30 : on a beau faire le tour, on est prêts. Une partie de l'équipe attend devant le restaurant où FH déjeune, prête à le suivre en moto pour faire quelques images, et savoir où il va passer son après-midi. Nous partons au Conseil général. C'est là qu'il doit venir écrire son discours. Et puis nous l'attendons. La caméra prête à tourner, nous guettons les voitures. Plus le temps passe, plus les journalistes sont nombreux. Nous nous entassons sous les parapluies en attendant que les averses passent. Je porte maintenant deux tee-shirts, deux pulls, et même deux manteaux ! Un vrai bonhomme Michelin ! La caméra ne me fait même plus mal sur l'épaule molletonnée. Peu à peu, des hommes de la sécurité se mettent en place devant l'entrée du parking. Ils sont presque une dizaine devant un portail ! Zen, les gars...


18h environ : Trois voitures débarquent en trombe. Dans la première, un responsable com de l'équipe de FH klaxonne et crie, fenêtres ouvertes, de dégager le passage. Dans la deuxième voiture aux fenêtres très teintées, on suppose qu'il y a FH. Quelle image ! Tout ça pour ça... Nous faisons un direct, pour dire que François Hollande est bien là. Nous laissons un JRI de notre équipe, avec une moto, pour le suivre lors de sa redescente vers le Centre culturel.

18h30 : en bas, les choses s'accélèrent, la salle s'est remplie de tous les côtés. Militants et supporters, relégués dans les tribunes sur le côté, ou derrière le mur de caméras sur estrade. Ils doivent nous détester... FH va donc s'adresser à des journalistes ! Nous faisons nos ultimes tests et répétitions de directs. Je m'harnache : caméra, et sur le dos, un gros sac avec un système HF, pour nous permettre de retransmettre les images en direct, casque avec retour antenne sur les oreilles. Je plie sous le poids mais j'ai hâte. Nous sommes prêts.


19h55 : nous courons vers la salle. A l'annonce des résultats, les militants crient leur joie. Je filme, sans savoir si ça passe en direct...

20h05 : nous nous mettons en place dehors, pour attendre FH. Il se murmure qu'il pourrait faire sa déclaration très vite après les résultats. Tout le monde est un peu tendu, moi la première. Je me prends la tête avec le service com de FH (Vous explique pourquoi dans un prochain billet). La pluie tombe fort, très fort. Le technicien-bonne fée nous amène un peu de charcuterie pour prendre des forces. On tente de s'entendre avec les autres chaînes : pas de cohue, histoire que tout le monde ait son image. De toute façon, nous sommes relégués derrière une barrière, impossible d'approcher FH.

21h25 environ : notre collègue posté au Conseil général depuis des heures nous prévient : FH vient de quitter son bureau. Ca crie "il arrive !". Ca bouge dans tous les sens. On relance les caméras, on allume les minettes (lumières), on ne bouge plus. Environ trois minutes plus tard, on voit descendre le cortège, les voitures s'arrêtent, les fans crient dehors. Les flashs crépitent et FH apparaît de loin (sans manteau, genre il faisait bien chaud chez moi au Conseil général...). Pendant qu'il descend les marches qui le mènent du parking à la salle, les journalistes gueulent dans tous les sens pour avoir une bribe d'interview "FRANCOIS, FRANCOIS !" "M. HOLLANDE". Un journaliste crie même "M. LE PRESIDENT" (non mais pfffff, comme si ça pouvait le convaincre !). Il nous salue mais s'engouffre dans la salle. On part en courant pour faire une image de son arrivée. Juste à temps, je peux filmer les militants qui crient lors de son entrée... Je n'écoute même pas son discours, trop occupée que je suis avec ce que je dois faire. Pour être honnête, je suis un peu paumée, ça va très vite, je suis bousculée de partout, je ne sais pas ce qu'il va faire, où je dois aller. J'ai peur de louper LE truc. Après quelques minutes, toujours sur la scène, il vient devant nos micros. Est-ce que je tourne, est-ce que ça marche ? Mais qui appuie si fort sur mon dos ? Je vais tomber. Les attachés de com forment une barrière pour bloquer les journalistes mais plient sous leur poids. L'une d'entre eux me broie les côtes avec ses coudes. Il a l'air paumé, submergé, tendu. Loin de l'expression de maîtrise sereine et de la bonhomie habituelle. Il ne sourit pas. Peut-être réalise-t-il, ce soir ? En une fraction de secondes, on sent qu'il va venir vers nous. Il saute de la scène et va vers les militants. Une vague de caméras et de mecs costauds me tombe dessus, je suis poussée de tous les côtés, je ne sais même pas comment je tiens encore debout. Mon collègue me tient par le dos, me guide, me porte quasiment. Mais c'est quoi ce truc de fou ? Je lève ma caméra aussi haut que je peux, à bout de bras, elle est vraiment très très lourde. Nous faisons ainsi une trentaine de mètres, je n'ai aucune idée du temps que ça dure, je vois à peine ce que je filme. Il arrive vers les militants du fond de la salle, face à eux, il retrouve son sourire. Les journalistes renversent tout sur leur passage, même les estrades de leurs collègues, qui les regardent ébahis, en hauteur, se battre dans la masse. L'équipe de com, prise dans la folie, tentant d'aider le service de sécurité débordé par le bain de foule, nous crie "mais vous êtes complètement fous ?? Mais arrêtez  !!" A bout de forces, je donne la caméra à mon collègue, et lui prends le micro. Mais je garde le sac avec la transmission, nous sommes donc reliés par un câble et devons rester collés, à tout prix, pour garder une image. Nous ne savons même pas si nos images sont diffusées à l'antenne. Mon collègue est plus costaud, il passe devant, je le suis et parviens à hisser mon micro près de FH. Ca crie et ça s'insulte dans tous les sens. Caméra, micro, tous mes câbles sont emmêlés. On m'écrase les pieds, les côtes, on s'appuie sur moi. La meute avance telle une tortue. J'approche de FH et lui demande "vous y croyez plus fort que jamais ?" (oui, je sais, je vous avais déjà dit que j'étais la reine des questions débilo-lunaires). Il répond "oh oui,  j'ai toutes les raisons d'y croire". Et la foule l'emporte. Bien joué, Pau. Nous faisons ainsi tout le tour de la salle. Au fond, derrière la scène, la sécu parvient à nous repousser. Nous tentons d'interroger Valérie Trierweiler. Elle fait la gueule, ne nous regarde pas. Nous partons en courant de l'autre côté, pour tenter de faire sa sortie. Là, nous attendons plusieurs longues minutes devant une porte fermée. Tout d'un coup, ça bouge dans tous les sens, je ne sais par quelle intuition magique. FH sort, suivi de sa campagne et refait un bain de foule au milieu des militants amassés pour l'apercevoir. Certains nous insultent, nous qui les coupons de leur idole, les empêchons de l'approcher. D'autres nous soutiennent, nous encouragent et font de la place sur notre passage. Car nous bousculons tout, sans regarder l'âge ou la condition. Les parents éloignent les plus jeunes et les âgés flippent un peu. Mon collègue est au plus près de FH et fait de belles images. Dans l'escalier menant au parking, il passe mais la sécu me bloque. Obligée de grimper via une butte glissante. Un gentil monsieur me tend la main et me hisse en haut. Je cours rejoindre mon collègue, qui fait une dernière image de FH à la fenêtre de sa voiture. Sur sa moto avec chauffeur, un autre JRi de notre équipe est prêt à partir. Hystérique, je lui tape dans le dos et lui crie "t'es le meilleur, vas-y !!!!". Il me regarde comme si j'étais barjo. Je suis barjo. Les gens suivent la voiture en courant et puis c'est fini. Tout d'un coup, comme ça. Nous redescendons vers la salle, encore sous la pression et l'hystérie collective. "C'était bon, ça !". Quelques minutes plus tard, l'excitation ne se décide pas à descendre. Dans la salle, les gens partent peu à peu, les cameramen replient déjà leur matériel, les photographes et rédacteurs, eux, s'affairent sur leur ordi. Il faut envoyer papiers et images au plus vite. Nos collègues descendus de Paris filent vite : le bus affrété pour les journalistes va partir, et l'avion ensuite. Au-revoir, merci, c'est déjà fini, si vite ?


22h45 : la salle se vide, nous renvoyons toutes les images faites pendant le bain de foule. Puis nous allons chercher quelque chose à grignoter. Les premières douleurs dans le corps se font sentir. L'organisation arrache déjà l'affiche "C'est maintenant". Dans les tribunes, les journalistes étrangers continuent leurs directs.

23h : nous commençons à ranger, nous aussi. Enrouler les câbles, sous la pluie. Porter le pied de caméra, et le matériel alors qu'on n'a plus de force. Les collègues s'en vont peu à peu. Je tente de me réchauffer dans le camion satellite, je sens les jambes qui tiraillent. Entre collègues et techniciens, on échange des regards, soit complices "c'était fort quand même", soit haineux "tu es le beau salaud qui m'a poussé"...

23h30 : tout est rangé, on fait le point, on n'a rien perdu, miracle ! Notre cameraman et son motard reviennent, trempés. Ils ont réussi à avoir une dernière interview de FH, au pied de son avion à l'aéroport de Brive, après une course-poursuite de 40 minutes sous une pluie battante. Quelle journée de dingues. On a du mal à partir, à se résigner, à se décider. On est épuisés, mais est-ce bien fini ?

(Le rangement, c'est maintenant ! Copyright AE)


C'était dur, mais on remet ça le 6 mai, sans hésitation.

A très vite,
Pau.

6 commentaires:

  1. Excellent papier, on est avec toi tout le long, on ne te lâche pas d'une virgule, on revit cette journée avec toi, vraiment bien. Bravo !
    Vivement le prochain article !!!
    (il y a un joli lapsus ds ton texte, sauras-tu le retrouver ?) (je serais toi je le laisserais ;)

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    1. Hihi j'ai retrouvé le lapsus ! Drôle, je le laisse, tu as raison. Parle-t-on du même ?!

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  2. J'ai mal partout, rien qu'à te lire! Vous êtes fous vous les journalistes, vous devriez faire comme nous et regarder tout ça depuis votre canapé !
    Et oui, mais si tout le monde est dans son canapé, qui filme ???

    bravo Pau, vivement le 6 mai (ou le 7 pour te lire)

    pascal

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    1. Merci Pascal B. ! Ca te rappelle des ("bons" ?) souvenirs ?

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  3. Bon article merci, pour une fois qu'un journaliste appelle pas à voter hollande ça change, mais quand on lit entre les lignes on sais quand même pour qui vous votez Mme Pau. (c est quoi votre nom si vous etes du bearn on se connait) Vivement le dernier round vous allez rire a tulle dimanche avec les têtes d enterrement a 20 heures
    a vous lire,
    Godefroy,
    de Mauléon EN BEARN ET SURTOUS PAS AU PAYS BASQUE MERCI

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    1. Merci Godefroy pour ce commentaire, c'est sympa.
      Que lisez-vous entre les lignes ?! Parfois j'ai l'air de pencher pour un, parfois pour un autre, de temps en temps pour encore un autre.... Qui sait ;-) Les journalistes ne sont pas là pour appeler à voter pour quelqu'un, normalement...
      Et je ne suis pas du Béarn, j'adore le coin, mais "Pau" évoque mon prénom, pas la ville.
      A bientôt sur Afdp !

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