23 févr. 2012

Blues de journaliste...


Je devais vous parler de Jean-François Copé, en meeting hier soir près de Brive. Et puis en fait, non.
Parce que j'ai le bourdon aujourd'hui. Un peu plus qu'hier encore, prise que j'étais dans le flot du travail et de l'actualité.

J'ai le blues de Marie, et de Rémi. Deux de plus. Comme pour Gilles Jacquier il y a quelques semaines, je ressens un frisson glacial me parcourir le dos.
En plus d'être tous les deux des journalistes de talent, que toute la presse salue unanimement ce matin, Marie était une femme, Rémi avait 28 ans, mon âge. Je suis touchée par cela, aussi. Non pas que je me projette à leur place, oh non, je ne serai jamais de cette trempe-là.

Je pense à leurs familles, qui maudissent depuis 24h, peut-être depuis toujours, cette saleté de boulot. Qui se disent à quoi bon. Qui se demandent si l'information vaut deux vies, si tout ça valait vraiment le coup. Je dis ça avec la boule dans la gorge, peut-être un peu aussi de manière contradictoire avec tout ce que j'ai toujours dit, mais oui, ça valait le coup. Enfin non. Et puis je ne sais pas. Je ne saurai jamais.

Si ces femmes et hommes-là ne prennent pas ces risques, qui pour nous informer, nous faire entrevoir le monde tel qu'il est vraiment ? Qui pour remettre chaque chose à sa juste place ? J'entendais ce matin sur France Info le responsable de Polka, le magazine du photojournalisme, qui expliquait que ces professionnels, à l'image des pompiers qui prennent des risques à l'assaut du feu, sont là pour sauver des vies, à leur manière. Témoigner pour ne pas laisser mourir dans l'ignorance et l'indifférence. MAIS, une information, aussi précieuse soit-elle, vaut-elle ne serait-ce qu'une vie humaine ? Pour moi, le débat est inextricable.

Et il est d'autant plus difficile à mener que je porte dans mon coeur un de ces journalistes, qui érigent liberté et nécessité d'informer en valeur suprême. Qui ne reculent devant aucun terrain, risqué ou pas. Qui prennent des risques, qui ne peuvent être mesurés, quoi qu'on en dise. Un risque est un risque. J'ai connu la peur au ventre, celle de ceux qui attendent, au chaud à la maison, que l'actualité se calme. Quand le journaliste est une personne qui vous est chère, vous maudissez la nécessité d'informer, vous n'avez que faire du sort des habitants de Homs, Ajdabiyah ou ailleurs, vous dites que des morts ne valent pas une vie sacrifiée de plus, que les victimes de Bachar Al Assad, Kadhafi et tous les autres n'auraient pas souhaité ça. Qu'il faut rester EN VIE, coûte que coûte, pour pouvoir informer. Mais malgré tout, vous êtes fier. Ceux qui partent ont raison de le faire et ils le savent. Vous le savez aussi, au fond.
C'est pour toutes ces raisons, qu'il y a des Gilles, des Rémi, des Marie, des Anthony Shadid (journaliste du New York Times mort aussi en Syrie il y a quelques jours) et tant d'autres, qui reviennent vivants, aussi, Dieu merci. Et puis il y a les autres journalistes, tous ceux dont je vous parle tous les jours. Pas tout à fait le même métier quand même.

Alors rappelons chaque jour qu'il y a des anonymes, des purs, des durs, des sensibles, des baroudeurs, des têtes brulées, des prudents, qui y sont, qui tremblent sous les bombes ou les tirs en attendant que ça passe, qui feront des cauchemars toute leur vie pour cinq minutes dans l'un de nos JT, pour une page dans notre Libé du matin.

Pour finir, deux articles, qui m'ont touchée. L'hommage, perso, dans Paris Match, et la réflexion sur le métier, dans Le Figaro.
http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Hommage-au-photographe-Remi-Ochlik-tue-a-Homs-378664/

http://www.lefigaro.fr/international/2012/02/23/01003-20120223ARTFIG00371-deux-grandes-figures-du-journalisme-de-guerre-disparues-en-syrie.php

A très vite,

Pau.

ps : en regardant les très belles photos de Rémi Ochlik, je suis tombée sur une, de François Hollande et Valérie Trierweiler, le 7 janvier dernier, à Tulle. J'y étais aussi. Je me souviens très bien du moment, que j'ai filmé. Rémi Ochlik était forcément juste à côté de moi pour faire cette image-là. Je n'arrive pas à m'en souvenir, trop de monde. Assez troublant tout de même.

Le dernier reportage de Marie Colvin :
http://www.thesundaytimes.co.uk/sto/public/news/article874796.ece#prev
et les photos de Rémi Ochlik
http://www.ochlik.com/

2 commentaires:

  1. Le journaliste dont vous taisez le nom s'appelle Antoine Estève, il était avec Olivier Ganglof en Libye l'an dernier, je ne les connais pas personnellement, et pourtant j'ai aussi tremblé pendant qu'ils nous montraient les horreurs de la guerre sous les bombes de Khadafi. On est tous concernés. On a tous mal quand les hommes meurent en se battant pour la liberté. Qu'ils soient soldats ou photographes. La lutte est la même. L'amour de la liberté est universel.
    Camille

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    1. Merci Camille pour votre commentaire, et merci pour eux, surtout.
      Nous sommes effectivement tous concernés, nous avons tous le blues...
      Et nous continuons de trembler chaque jour avec les journalistes, les civils, les enfants, les soldats de la liberté. Il est important de le rappeler !

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