9 févr. 2012

Cache cache ta justice !

Ce soir, place à un invité, journaliste. Ca tombe bien, je n'avais pas d'inspiration. Ca tombe bien surtout, il a plein de choses à dire, du talent à revendre, et une capacité d'indignation intacte. Aujourd'hui, il nous raconte une partie de cache-cache avec un ancien ministre. Ca vous dit quelque chose ?
Enjoy et à très vite !
Pau.



Je m'appelle Etienne W. Je suis un citoyen. Un type, quoi. Un justiciable, un témoin, qu'importe.
Je suis convoqué par un juge d'instruction. La lettre - reçue en décembre - précise que ce monsieur G. veut m'entendre ce mercredi matin. J'ai un peu la trouille, c'est pas commun d'être convoqué par un juge. Alors ce matin-là, je gare ma voiture au parking public de la place de la République. Je me rends à pied au Palais de justice.
Etrangement, le trajet entre ma place de parking et la lourde porte du tribunal me semble long ce matin. Je passe sous le portique "détecteur de métaux". Le policier contrôle mes objets personnels. Je vide mes poches. Une dame d'une quarantaine d'années me regarde gentiment. Comme si elle savait. Comme si mon désarroi transpirait. A présent, je patiente devant le bureau des renseignements. Le coeur un peu lourd. Je demande poliment à la standardiste où se trouve le bureau du juge d'instruction. Mes jambes tremblent un peu. Et puis j'y vais. Je suis inquiet. C'est pas drôle d'être soupçonné. J'ai les mains moites. Un jeune homme visiblement convoqué aussi me jette un regard complice. Il semble me dire : "t'en fais pas mec, ça va bien se passer". L'escalier est large, froid. Tiens, mes mains sont froides aussi. Je suis un justiciable. Je suis un citoyen.
Et me voilà "entendu par un juge d'instruction". Je ne vous préciserai pas les motifs de cette audition, c'est une autre histoire.

Je m'appelle Eric U. Je suis un citoyen. Je suis député, aussi. Et je suis maire d'une commune de la région parisienne. Je suis convoqué par un juge d'instruction. Mon avocat m'a précisé les issues possibles de cette grosse affaire qui me ronge les nerfs depuis presque deux ans. Je risque d'aller en prison, un jour. Alors je suis angoissé, je dors mal.
Quelques jours avant ma convocation au tribunal de Bordeaux, je réunis mon staff à mon bureau parisien, avec mon avocat et l'officier chargé de ma sécurité. Je leur fais part ouvertement de mon souhait de ne rencontrer aucun journaliste, et surtout de ne croiser personne - absolument personne - au tribunal avant et après mon audition dans le bureau du juge bordelais. En liaison avec le parquet de Bordeaux, la personne en charge de ma sécurité organise ma venue à Bordeaux, et me garantit que mon arrivée et mon départ du Palais de justice se feront dans la plus grande discrétion.
Ce mercredi matin, une voiture avec "mon" chauffeur m'attend à l'extérieur de l'aéroport. Entre l'avion et la voiture, je marche vite. Heureusement, je ne croise personne. Je monte dans la grosse berline noire.
Mon chauffeur me rassure, et m'explique que tous les policiers du Palais de justice sont prévenus. D'après mon avocat, qui m'accompagne, des journalistes attendent devant toutes les entrées du tribunal. Mais je ne veux pas qu'on puisse me voir, moi !
J'ai les mains moites.
Mes jambes tremblent un peu. J'espère que tout le dispositif mis en place par la police va fonctionner.
Nous approchons du tribunal. Mon chauffeur me dit que les vitres de la voiture sont suffisamment teintées, que personne ne peut me voir. Au plus profond de moi même, je me dis que ce n'est pas très normal tout ça. Je ne suis pas un mauvais type. Et pourquoi aurais-je le droit de me cacher, moi ?  Enfin, c'est appréciable tout de même. Devoir affronter les regards, croiser des journalistes, je n'en serais pas capable. Je suis député, quand même. Je dois être irréprochable, moi.
Ma voiture approche à vive allure.
Au loin, je vois la porte électrique du tribunal qui glisse lentement. Ça y est, elle est ouverte ! Mon chauffeur me dit de ne pas m'inquiéter, des voitures "leurres" ont été prévues aux autres portes pour déjouer les journalistes. Nous nous engouffrons à l'intérieur. J'ai eu le temps d'apercevoir deux photographes sur le trottoir.
Je sens la sueur sur mon front. Dans mon dos aussi.
Mon avocat m'affirme que personne n'a pu me voir. Je suis rassuré. Un huissier du tribunal m'accueille dans le couloir souterrain. Il m'accompagne jusqu'au bureau du juge d'instruction.
L'escalier est étroit. Etouffant. Tiens, mes mains sont froides. Je suis un justiciable. Je suis député de la République.
Et me voilà "entendu par un juge d'instruction". Je ne vous préciserai pas les motifs de cette audition, c'est une autre histoire.

Le procureur de la République de Bordeaux, interrogé au sujet de ce qui apparaît aux yeux de tous comme un traitement de faveur, explique qu'il n'est - je cite - "pas au courant", que la police "fait ce qu'elle veut", et qu'un député peut demander à être " protégé pour sa sécurité ". Sa sécurité ? Quelle sécurité ? Caché dans un tunnel souterrain, dans une voiture de la République, mais pourquoi ? Pourquoi organiser une mascarade avec des "fausses" voitures aux différentes portes du tribunal ? Tous les justiciables peuvent être accompagnés par un policier à leur demande. Et tous - tous les jours - empruntent les escaliers publics. Sans "danger".
Mais un ancien ministre, député, a visiblement le droit à la discrétion. Le droit de disposer de la police nationale, de dizaines de policiers, même.

De se cacher pour ne pas sentir le poids de la justice, comme le poids des regards.

Antoine.

6 commentaires:

  1. Antoine, le mec d'Atoll, les Opticiens????

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  2. Cé pas bien de se moké din ministre en plus ke cé pa toi ki ecri l article madame...
    Sam de Toulouse

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    1. Merci pour ton commentaire, Sam !
      Moquerie ? Je n'ai lu aucune moquerie...

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  3. Juste pour info. Comme quoi, on n'est pas fous, il y a bien un problème...

    http://www.leparisien.fr/bordeaux-33000/woerth-la-presse-judiciaire-proteste-contre-la-communication-du-parquet-de-bordeaux-10-02-2012-1855342.php

    Pau.

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  4. Et Sarko il viendra discrètement lui aussi? Vous allez embaucher des taupes au tribunal peut-être? Qu'est ce que ça peut vous foutre qu'il entre par la grande porte ou pas? De toutes manières vous savez tout et vous nous dites pas grand chose les journalistes...
    Censurez-moi si vous voulez, j'imagine que vous avez pas grand c'hose à répondre à ça?
    JM Happois
    Saint-Étienne

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    1. Bonjour JM,

      Vous censurer ? Quelle idée ! ça n'existe plus ça...

      Je ne sais pas si Sarkozy viendra discrètement. Je n'embaucherai pas de taupe, mais je tenterai d'être là, comme mes collègues, pour relater une information, une affaire, qu'on nous reprocherait allègrement de taire, dans le cas contraire.

      Je ne me fous pas du fait qu'il entre par la grande porte ou la petite, celle cachée ou pas. Si l'idée d'une justice à deux vitesses, une pour les puissants, une pour vous, moi et les autres, ne vous empêche pas de dormir, alors tant mieux pour vous (à moins que vous ne soyez un puissant ?) ! Je continue de croire que la Justice doit se montrer exemplaire en France et qu'elle ne l'était pas.

      Quant aux "journalistes qui savent tout et qui ne disent rien"... Le grand complot ! La litanie... Je constate juste qu'on nous reproche sans cesse de ne pas dire, et que quand on "dit", ça ne va pas non plus.

      Peut-être que l'auteur de cet article répondra, lui aussi. Surtout pas de censure !

      A bientôt.

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